La Côte d’Ivoire s’engage dans un nouveau processus électoral sous fond de crise avec les mêmes adversaires Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. Les premiers signes perceptibles de ce duel à venir annoncent un remake de la crise de 2010, avec un troisième antagoniste en la personne de Tidjane Thiam, remplaçant d’Henri Konan Bédié à la tête du PDCI RDA.
C’est depuis le 7 décembre 1993, à la mort de feu Félix Houphouët-Boigny, que la Côte d’Ivoire s’est engagée sur le chemin des crises politiques, amorcé quatre ans plus tôt avec l’avènement du militantisme. Le coup d’État de 1999, qui a montré qu’aucun problème n’était réellement réglé par le départ du “Vieux”, habitua pendant quelques années les Ivoiriens à vivre dans l’instabilité.
Gbagbo revient, Ouattara persiste : et le peuple ivoirien ?
Sur accusation de xénophobie, Laurent Gbagbo, qui a écarté le régime de transition militaire du feu Général Guéi par des élections, goûtera lui-même aux insurrections, avec pour point culminant la rébellion de Guillaume Soro en 2002.
La vie de toute une nation s’arrêtera dès lors, et la gouvernance, censée permettre à chaque Ivoirien de s’épanouir, deviendra un terrain de jeu pour les intérêts politiques. Dans un semblant d’accord, après plusieurs séquences de négociations censées ramener la paix, le pays vivra un moment épique avec la crise post-électorale de 2010, qui fera officiellement 3 000 morts.
Celle-ci s’est soldée par la prise de pouvoir d’Alassane Ouattara, alors soutenu par la communauté internationale. La gouvernance du leader du RDR, devenu RHDP, sera de fer. Le pays connaît une paix relative, avec des signes visibles de développement.
La capitale, Abidjan, a revêtu ses plus beaux habits, et le génie Pierre Fakhoury, maître d’œuvre de la Basilique Notre-Dame de Yamoussoukro, est même en train de terminer la seconde fierté nationale : le plus haut gratte-ciel d’Afrique de l’Ouest.
Mais à l’ombre de ce symbole de puissance retrouvée, une nouvelle crise politique se profile. Et sur ce point, l’artisan du renouveau de la Côte d’Ivoire, le Dr Alassane Ouattara, n’aura pas fait briller son génie. Venu initialement pour faire deux mandats, il s’est offert cinq années supplémentaires en profitant du décès de son vrai-faux successeur, Amadou Gon Coulibaly, pour se maintenir au pouvoir.
Pourquoi Gon Coulibaly ne représentait-il pas la volonté réelle d’un départ d’Alassane Ouattara du pouvoir ? Parce qu’à l’époque déjà, le président ivoirien évoquait la présence d’une demi-douzaine de présidentiables dans son camp. Alors, lorsqu’on a des plans A (Amadou Gon Coulibaly), B, C, D, E et F, on ne revient pas au plan 0 lorsque le destin nous joue des tours.
Les plans B, C, D ou E auraient dû être activés par Ouattara pour rendre effectif son départ, dans le respect des règles constitutionnelles. Car cette décision du champion du RDR aura des conséquences bien plus durables, qui viendront littéralement anéantir les progrès réalisés par la Côte d’Ivoire.
Ce beau pays, qui devait désormais s’engager sur le chemin de la transformation profonde et d’une gouvernance moderne, se retrouve aujourd’hui tourné vers son passé.
La séquence Laurent Gbagbo, l’ancien président déchu et déporté à la Cour pénale internationale, est revenue d’entre les morts. Même si sa vie politique s’est arrêtée durant neuf ans, il est revenu dans la course, et prend du poids à mesure que s’approchent les élections.
Il faut dire que le fondateur du Parti des Peuples Africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) bénéficie du syndrome de la victime réhabilitée par le peuple. Puisqu’il avait été expédié loin de sa terre natale pour être jugé par des personnes qui ne connaissaient rien à la crise ivoirienne, sa situation a suscité une grande sympathie chez la majorité des Ivoiriens et des Africains. Au point qu’aujourd’hui, plus personne ne se souvient que cet homme sort de neuf années d’absence durant lesquelles la vie a continué.
Aujourd’hui, presque aussi vieux qu’Alassane Ouattara (83 ans), Gbagbo (80 ans dès le 31 mai) se bat pour gouverner des citoyens nés à l’ère des réseaux sociaux et tournés vers l’IA, des technologies qu’il ne peut comprendre, y compris dans ce qu’elles représentent en termes de puissance économique. Et ses partisans de répéter en boucle qu’il vient laver son honneur. L’idée chez les pro-Gbagbo serait qu’il prenne le pouvoir, mais qu’il le fasse exercer par des plus jeunes que lui.
Sauf que des promesses de ce type, Alassane Ouattara et lui en ont déjà fait un bon paquet aux Ivoiriens… et ils n’ont jamais tenu parole.
Ouattara disait en coulisses que le pouvoir de son troisième mandat serait exercé par un plus jeune, sous sa supervision, comme s’il avait lui-même été supervisé à sa prise de pouvoir. Mais la réalité est qu’il n’est pas un bon formateur, puisque le gouverneur censé exercer durant ce troisième mandat ne s’est pas assez imposé pour se présenter aux Ivoiriens.
Pour preuve, ce n’est pas son dauphin imaginaire qui va candidater pour le RHDP, mais bien lui-même. Même si, à sa décharge, il faudra attendre le mois de juin prochain pour la confirmation. Mais à mon humble avis, Alassane Ouattara sera le prochain candidat du RHDP, à moins de vouloir faire du “Macky Sall”, qui a perdu du temps avant de désigner un successeur, battu à plate couture par Bassirou Diomaye Faye, candidat par défaut du PASTEF, le leader Ousmane Sonko ayant été emprisonné par l’ancien président à l’approche des élections.
C’est donc vers une nouvelle bataille Laurent Gbagbo – Alassane Ouattara que se dirigent les Ivoiriens pour la présidentielle d’octobre 2025. Le débat politique se passionnant à nouveau, les Ivoiriens perdent peu à peu de vue la troisième option, bien plus pertinente, que représente Tidjane Thiam, pour s’enfoncer dans les plans galère que sont ADO et LG, malgré les risques de graves crises qui pourraient en découler.
Contrairement à ce que dit le journaliste, patron de média et analyste politique Alafé Wakili, ce ne sont pas les craintes exprimées d’une crise qui provoquent la crise. C’est la minimisation des éléments annonciateurs par les différents responsables politiques qui la rend inévitable.
Après le travail qu’il a accompli, le président Alassane Ouattara aurait dû passer le flambeau. Laurent Gbagbo, quelle que soit l’injustice qu’il pense avoir subie, aurait dû renoncer à gouverner à nouveau pour laver son honneur. Un jeune président, arrivé au pouvoir de façon paisible, est tout à fait capable de le laver de toutes les accusations et condamnations, permettant ainsi à la Côte d’Ivoire d’aller de l’avant.
C’est l’absence de dauphins soutenus par les leaders politiques ivoiriens qui donne aujourd’hui à la Côte d’Ivoire l’image d’un pays instable à chaque élection. Pour rompre cette chaîne de perpétuation des crises, le peuple peut aussi jouer un rôle en installant une nouvelle génération de politiciens à sa tête, en tournant le dos aux anciens.
Mais cela relève aujourd’hui de l’utopie, tant la population est, elle aussi, désormais impliquée dans la bipolarisation de la vie politique ivoirienne, qu’elle pense limitée à un duel entre Ouattara et Gbagbo.
Pour en arriver à ce cas de figure, la communauté internationale et certains pays amis de la Côte d’Ivoire poussent pour une élection inclusive. Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, Guillaume Soro et Laurent Gbagbo, à ce stade des choses, sont écartés de la liste électorale suite à une condamnation de la justice. Tidjane Thiam du PDCI RDA a lui été soustrait de la liste électorale suite à une plainte de citoyens contestant sa nationalité française. Sa réaction musclée quelque temps après la décision en dit long sur la crise pré-électorale qui pend au nez des ivoiriens.